J’ai décidé aujourd’hui de reprendre ma rubrique Portraits de traducteurs en lisant cet article du Parisien, publié la semaine dernière. Comme le dit si bien l’auteur de l’article, très peu de personnes se rendent compte qu’elles ne lisent pas la plume de l’écrivain étranger qu’elles aiment tant, mais celle du traducteur. Il est donc temps de mettre un peu de lumière sur ces « travailleurs de l’ombre ».
Après Jean-François Ménard, traducteur de Roald Dahl et de J.K. Rowling entre autres, j’avais envie de vous parler d’André Markowicz, un grand traducteur français d’origine tchécoslovaque. Lors de mes études à l’École d’Interprètes Internationaux de Mons, j’avais eu la grande chance d’assister à l’une de ses conférences. Sous ses allures d’elfe (je ne sais pas pourquoi mais il me fait un peu penser à un personnage de conte tant il est fascinant), André Markowicz m’avait tout de suite emportée par sa passion pour la traduction et l’écriture. Il avait été invité pour nous parler de la traduction des œuvres de Shakespeare mais nous a également beaucoup parlé de la traduction des œuvres complètes de Dostoïevski. Vous l’avez compris, André Markowicz a l’habitude de s’attaquer à de grandes pointures de la littérature.
Un don inné pour la traduction
Né à Prague en 1960 d’une mère russe et d’un père français, André Markowicz a toujours parlé dans les deux langues, passant de l’une à l’autre sans difficulté aucune. À 4 ans, il s’installe avec sa famille à Paris, où sa mère, traductrice et interprète de conférence, enseigne la littérature russe. C’est d’ailleurs probablement d’elle que lui vient cette passion pour les mots et pour la langue. Il entame d’ailleurs des études de Lettres françaises à la Sorbonne, même s’il a déclaré dans une interview qu’elles ne lui avaient rien apporté de bon et que c’est plutôt en lisant et en parlant avec les gens qu’il a tout appris.
Un projet de traduction titanesque
Déjà traducteur depuis plusieurs années, André Markowicz se fera surtout connaître pour sa retraduction des œuvres complètes de Dostoïevski, un projet d’envergure auquel il aura consacré dix ans de sa vie. Cette idée folle de retraduire toute l’œuvre de ce grand auteur russe du XIXe siècle lui est venue de sa mère, surprise de voir qu’un passage de la traduction française de L’Idiot n’avait plus rien à voir avec la version originale. En comparant cette traduction à d’autres versions françaises, elle se rend compte que le style de Dostoïevski est totalement dénaturé. En effet, les traductions appartenant à la bibliothèque de la Pléiade avaient tendance à lisser son style enflammé afin de le rendre plus français. Markowicz s’est alors mis en tête de faire connaître à la France le vrai Dostoïevski en retraduisant toutes ses œuvres, s’attirant autant de louanges que de reproches de la part des critiques.
Sa méthode de travail
Contrairement aux premiers traducteurs de Dostoïevski, André Markowicz ne s’attache pas aux idées de l’auteur mais à ses mots. Aussi, il ne va pas supprimer les répétitions de mots, très communes dans la langue russe, pour « faire joli » et plaire au lectorat français mais conserver au maximum le style russe pour faire découvrir au public francophone une littérature étrangère. Comme il le dit si bien dans un entretien : « […] autant ce qui est intéressant chez un étranger, c’est le fait qu’il est étranger. Par conséquent le mouvement ne doit pas être de le rendre français, mais de changer la langue française, qui est très riche et très accueillante – comme la France devrait l’être – pour accueillir l’étranger ; et pas l’inverse. » Quant à sa méthode de travail à proprement parler, André Markowicz explique qu’il écrit son premier jet de manière très rapide, sans même lire l’œuvre originale auparavant. Il découvre ainsi le texte en même temps qu’il le traduit. Ensuite, il s’arrête sur chaque « bizarrerie » et écrit plusieurs versions différentes. Il fait ensuite relire son travail à deux personnes capitales pour lui : Françoise Morvan, auteur et traductrice qui s’occupe de relire la version française, et sa mère qui se charge de la comparer au texte russe.
Un traducteur vedette
« Traducteur-vedette-polémique », André Markowicz aura fait beaucoup parler de lui suite à sa traduction des œuvres de Dostoïevski. Et il n’en est pas peu fier car, comme il l’avait expliqué au cours d’une interview en 1993 pour Le Monde des Livres, « Voilà une chose que j’ai réussie, au moins. Qu’on mette l’accent sur la traduction, qu’on remarque que le bouquin est traduit. » Près de vingt ans plus tard, il se voit nommer Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres de France.
Bibliographie
La liste des œuvres traduites par André Markowicz est longue et prestigieuse. Il a ainsi traduit non seulement les grands auteurs russes, tels que Pouchkine (Eugène Onéguine, La Dame de Pique), Tchékhov (Drame de chasse, Platonov, La Cerisaie), Gogol (Les Nouvelles de Pétersbourg, Le Révizor) et bien sûr Dostoïevski, mais aussi des auteurs anglais comme Shakespeare (Macbeth, Othello, Hamlet).
Si vous souhaitez lire l’entretien complet et très intéressant d’André Markowicz, c’est ici ! Et si vous avez du temps devant vous, vous trouverez sur YouTube plusieurs rencontres de plus d’une heure avec ce grand traducteur (il est tellement passionné que vous aurez du mal à ne pas l’écouter jusqu’à la fin. Bon OK, peut-être pas tout le monde, mais moi c’est mon cas ^^).
Sources :
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