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Archives de Catégorie: Croque-livre

Des livres à dévorer, sans modération

Tenir sa langue, de Polina Panassenko

J’ai reçu pas mal de livres à Noël et, après avoir achevé le passionnant Unwell Women, je me suis enfin attaquée à ma petite pile de cadeaux littéraires. Tenir sa langue, de Polina Panassenko, m’a été offert par ma maman, qui n’aurait pas pu mieux choisir. Écrit par une traductrice franco-russe, traitant de l’apprentissage d’une langue, ce roman m’a directement séduite. Je ne suis d’ailleurs pas la seule à l’avoir apprécié puisque l’ouvrage a obtenu le prix Femina des Lycéens 2022. Il méritait donc un petit billet Croque-Livre.

Le premier chapitre m’a directement mis l’eau à la bouche, les allusions à la langue, autant l’organe que le système de communication, étant très présentes. La narratrice, qui parle à la première personne, nous embarque dans une quête juridique : obtenir le droit de récupérer son prénom russe, Polina, et délaisser son prénom francisé, Pauline.

« Ce que je veux moi, c’est porter le prénom que j’ai reçu à la naissance. Sans le cacher, sans le maquiller, sans le modifier. Sans en avoir peur. […] Je veux croire qu’en France je suis libre de porter mon prénom de naissance. Je veux prendre ce risque-là. Je m’appelle Polina. »

On remonte ensuite le temps, la narratrice partageant ses souvenirs d’enfance, lorsqu’elle vivait en Union soviétique avec ses parents et grands-parents dans le même appartement. Vient ensuite la chute de l’URSS, le départ en France et l’apprentissage du français à la materneltchik. On suit alors les flux de pensées d’une jeune enfant russe qui débarque dans un monde où il n’y a plus de mots, mais « que des sons ». On redécouvre ainsi la France à travers les yeux et la langue de cette enfant étrangère. On a également un bon aperçu de la vie en Russie, la famille repartant chaque année au pays pour rendre visite aux grands-parents.

J’ai adoré ce livre non seulement car il traite du langage, mais aussi parce que je l’ai savouré par moment comme une madeleine de Proust. L’autrice a pratiquement le même âge que moi. Plusieurs anecdotes de son enfance en France m’ont évoqué de nombreux souvenirs, tels que le « bonnet-écharpe-deux-en-un-violet-bordé-de-fourrure » (qui coiffait la tête de quasiment toutes les filles l'hiver dans la cour de récré de ma petite école), les pubs qui passaient à la télé (l'autrice explique que le côté répétitif des publicités l'a bien aidée à apprendre le français) et les dessins animés. Je mets le passage qui m’a donné le sourire, les personnes nées à la fin des années 1980 et au début des années 1990 comprendront directement de quoi il s’agit (pensées pour ma sœur et mes cousines qui auront certainement la musique du générique dudit dessin animé en tête 😁) :

« Installée sur le lino du salon, je regarde une histoire d’animaux qui ont sans cesse des problèmes. Ils veulent à tout prix traverser une autoroute. On ne sait pas pourquoi. C’est leur but ultime dans la vie. Une musique épique accompagne leurs vaines tentatives. ».

L’écriture de Polina Panassenko est fluide, naturelle, vivante. Les passages sur son enfance et les moments vécus avec ses grands-parents sont racontés avec tendresse et douceur. J’ai adoré suivre son flux de pensées et sa manière de traduire les réalités françaises par ses réalités de russophone. Le roman étant plutôt court (j'aurais d'ailleurs aimé qu'il se poursuive encore), je ne vais pas en dire plus, je préfère laisser parler l’autrice.

Tenir sa langue de Polina Panassenko a été mon premier coup de cœur littéraire de cette année. Je ne peux donc que vous recommander ce premier roman de cette traductrice, surtout si vous aimez le russe, les langues et les mots.

Unwell Women: A Journey Through Medicine and Myth in a Man-Made World, d’Elinor Cleghorn

Comme l’an dernier, le premier livre que j’aurai terminé cette année est un essai féministe. Cette fois-ci, le sujet abordé est celui de la santé ou plutôt de la mauvaise santé des femmes et de l’histoire des stéréotypes de genre dans la médecine. L’ouvrage n’est pas traduit en français, mais j’avais envie de vous partager mon ressenti et les éléments qui m’ont marquée.

Sa belle couverture m’avait attirée il y a déjà plusieurs mois dans une librairie anglaise. Quand j’ai découvert son titre et les nombreux éloges à son égard, je n’ai pas hésité une seconde. Il a patienté quelques mois dans ma bibliothèque (ou plutôt la pile de livres à lire qui trône sur ma table de chevet), mais une fois que je l’ai entamé, j’ai eu beaucoup de mal à le reposer. Étant elle-même malade du lupus, son autrice Elinor Cleghorn nous fait remonter le temps pour tenter d’expliquer pourquoi, aujourd’hui encore, les femmes sont moins bien soignées que les hommes et sont plus nombreuses à mourir de maladies simplement parce qu’elles n’ont pas été diagnostiquées à temps. S’il aborde principalement l’histoire du rapport de la médecine aux femmes sous une perspective anglo-américaine (ce qui explique d’ailleurs pourquoi il ne sera probablement pas traduit en français), cet ouvrage est une source d’informations précieuses. J’ai souvent été envahie par l’étonnement et la colère face aux aberrations des médecins des siècles passés. Ayant pris de nombreuses notes au cours de ma lecture, je vais essayer d’en faire un résumé.

Le livre se divise en 3 parties, chacune correspondant à une période de l’histoire :

  • la première s’étend de la Grèce antique jusqu’au XIXe siècle ;
  • la deuxième se concentre sur la fin du XIXe siècle jusque dans les années 1940 ;
  • la troisième couvre les événements survenus entre 1945 et l’époque actuelle.

La première partie, qui est aussi la plus longue, témoigne de l’imagination très fertile des médecins d’autrefois qui, par peur d’examiner de plus près le corps des femmes ou par obsession pour leur système reproducteur en négligeant tout le reste, ont proféré des inepties, certaines ayant persisté jusqu’à aujourd’hui. On découvre par exemple que durant l’Antiquité, les Grecs pensaient que l’utérus se baladait dans le corps des femmes et que c’était à cause de ses errances qu’elles souffraient de troubles divers ou mouraient (pour les curieux, voici un petit article sur le sujet). On passe ensuite au Moyen-Âge, lorsque la religion a envahi la médecine, propageant le mythe selon lequel toutes les femmes descendraient d’Eve, la pécheresse originelle, et qu’elles devaient donc subir la punition divine en se soumettant à leur mari et, surtout, en accouchant dans la douleur, mythe auquel certains médecins croient encore aujourd’hui quand on voit le problème que posent encore les violences obstétricales… Au chapitre 2, on découvre le combat d’une grande féministe et femme de lettres, Christine de Pizan, qui n’a cessé de dénoncer la manière dont les femmes étaient traitées dans les ouvrages de l’époque, notamment dans le petit livre latin De Secretis Mulierum (Le secret des femmes). Visant à diaboliser le corps des femmes, cet ouvrage destiné aux hommes, et plus particulièrement aux prêtres, est à l’origine des tabous autour des règles que l’on commence seulement à briser dans certaines régions du monde à notre époque. À force d’inspirer du dégoût pour les corps féminins auprès des hommes religieux, les ouvrages de ce genre ont transformé les femmes en de parfaits boucs émissaires. Elinor Cleghorn lie ainsi l’épidémie de peste noire au déclenchement de la tristement célèbre chasse aux sorcières, véritable génocide qui a visé un grand nombre de femmes ménopausées (qui ne présentaient donc plus aucune utilité pour la société).

La première partie aborde également le plaisir sexuel des femmes, qui a toujours été relégué au second plan (saviez-vous d’ailleurs que l’anatomie complète du clitoris n’a été révélée par IRM qu’en 2005 et qu’il a été représenté pour la première fois dans les manuels scolaires en 2017 ?). Le sexe féminin a très longtemps été réduit à l’utérus, organe qui a d’ailleurs donné le nom « hystérique », étiquette que l’on collait sur toutes les femmes qui se plaignaient de divers maux. J’ai d’ailleurs appris dans Unwell Women que le terme « hypocondriaque », que l’on attribue aujourd’hui davantage aux femmes qu’aux hommes, était réservé uniquement aux hommes « efféminés » au XVIIe siècle. Cette époque recelait de médecins, anatomistes et autres scientifiques (tous des hommes bien évidemment) qui ont aggravé la condition des femmes par leurs déclarations. Ainsi, un certain William Harvey a affirmé que les femmes pouvaient développer de graves troubles mentaux si leur utérus se trouvait dans un état « non naturel ». Par « non naturel », il entendait que l’utérus n’était pas inséminé, ne portait pas d’enfant ou que les relations sexuelles étaient insuffisantes. La première partie se termine par un chapitre sur les injonctions à la maternité et l’utilisation de nombreux faits médicaux erronés au sujet des menstruations pour empêcher les femmes de poursuivre des études, de travailler et de mener une autre vie que celle de mère.

Ce besoin de participer plus activement à la société ouvre la deuxième partie, qui nous plonge directement dans le combat des suffragettes britanniques et américaines. Redonner aux femmes le contrôle de leur corps a été dès le début au cœur de la lutte. Les mythes autour de la fragilité féminine étaient utilisés comme un prétexte pour empêcher les femmes de voter. On disait ainsi des suffragettes de la Women’s Social and Political Union (WSPU ou Union sociale et politique des femmes) du Royaume-Uni qu’elles souffraient d’hystérie morbide. Elinor Cleghorn parle également des traitements cruels réservés aux suffragettes emprisonnées, qui étaient gavées de force par tous les moyens possibles pour les empêcher de mener leur grève de la faim. Le chapitre suivant se poursuit sur le contrôle des naissances et l’ouverture du premier planning familial aux États-Unis en 1915 par Margaret Sanger et sa sœur Ethyl Byrne. L’autrice revient toutefois sur le côté plus sombre de la lutte pour la contraception, qui était motivée par l’eugénisme, mouvement qui visait à « améliorer » les populations humaines en empêchant la reproduction des éléments plus « faibles ». Ces premiers centres pratiquaient ainsi la stérilisation forcée des « faibles d’esprit ». Le chapitre 11 continue sur le thème de la lutte des femmes pour reprendre le contrôle de leur corps en nous présentant l’autrice féministe Eliza Burt Gamble. C’est la première à critiquer la théorie de la sélection sexuelle de Darwin, qui va dans le sens de la supériorité masculine, et à déclarer que la nervosité des femmes n’était pas due à des facteurs organiques, mais bien à des facteurs sociaux. Elle va notamment dénoncer l’injonction à la maternité. Ce concept selon lequel les femmes ne sont là que pour procréer a eu une incidence sur la manière dont on considérait les femmes ménopausées. À partir de la moitié du XIXe siècle, la ménopause était en effet considérée comme une pathologie qu’il fallait donc soigner. En 1920, l’endocrinologue et sexologue Harry Benjamin a ainsi commencé à proposer à ses patientes des séances de radiation sur leurs ovaires en vue de les rajeunir et de ralentir les effets du vieillissement.

Après la ménopause, le chapitre 12 est consacré aux règles. On découvre ainsi la détermination sans faille de la New-Yorkaise Clelia Duel Mosher pour devenir médecin. Atteinte de tuberculose dans son enfance, elle a dû se battre pour prouver qu’elle était capable de suivre une éducation et d’exercer le métier de ses rêves malgré son apparente fragilité. Durant ses études, elle s’est intéressée plus particulièrement aux règles. À son époque, soit dans les années 1890, certains médecins s’appuyaient sur quelques cas extrêmes de douleurs menstruelles pour faire croire que toutes les femmes étaient gravement affaiblies par leurs règles. Celles qui ne ressentaient pas de fortes douleurs pensaient donc qu’elles étaient anormales. Pour prouver que ces médecins exagéraient, Clelia Duel Mosher s’est ainsi mise à étudier les femmes durant leurs menstruations et à analyser les différents symptômes. Elle a également révélé que c’était en raison de la mode vestimentaire de l’époque, qui avait tendance à comprimer l’abdomen, que certaines femmes se sentaient beaucoup plus mal durant leurs règles. Elle préconisait ainsi de porter des vêtements moins serrants et de faire des exercices de respiration par le ventre. D’ailleurs, jusqu’en 1898, on pensait que les femmes ne pouvaient pas respirer par le diaphragme ou l’abdomen car la partie inférieure de leur buste était uniquement réservée à la grossesse. Le reste du chapitre traite de divers troubles du cycle menstruel, et notamment des fibromes. Les causes de ces tumeurs non cancéreuses qui touchent davantage les femmes noires sont encore méconnues aujourd’hui. La seule solution que proposent les médecins pour se débarrasser de la douleur est toujours l’hystérectomie, soit l’ablation de l’utérus, une opération qui peut entraîner de nombreux problèmes de santé et d’inconfort.

S’il s’ouvre sur l’année 1933, le chapitre 13 traite d’un sujet qui revient malheureusement sur le devant de l’actualité de nos jours : l’avortement. Elinor Cleghorn parle ainsi d’une affaire de viol en réunion sur une jeune fille de 14 ans au Royaume-Uni. Enceinte de l’un de ses agresseurs, la victime a pu subir un avortement thérapeutique grâce à un gynécologue empathique, Aleck Bourne. Conscient de l’interdiction de son geste, il a été accusé de meurtre. Néanmoins, vu les circonstances sordides du viol de la jeune fille, le gynécologue a été acquitté, ce qui a été une grande avancée dans l’acquisition du droit à l’avortement. Cela dit, si l’opération était plus facilement accordée en cas de viol, il fallait encore prouver que la femme avait bien été victime de viol. J’ai ainsi appris que, au Royaume-Uni, il a fallu attendre 1999 ( ! ) pour que des lois restreignent l’utilisation de l’historique sexuel et du comportement sexuel d’une femme pour discréditer ses accusations de viol. Ce chapitre parle également beaucoup des différences de traitement entre les classes. L’autrice parle à nouveau de l’influence du mouvement eugénique sur le droit à la contraception et le contrôle des naissances. Elle reprend d’ailleurs les mots de la militante et philosophe américaine Angela Davis, qui avait déclaré que ce qui était un « droit » pour les privilégiées était devenu un « devoir » pour les pauvres. J’ai été horrifiée d’apprendre dans ce chapitre l’existence du « Negro project » de Margaret Sanger, celle qui a ouvert les premiers centres de planning familial aux États-Unis. Son sombre projet visait à mettre en avant des médecins et éducateurs noirs éminents ainsi qu’à employer des infirmières noires pour inciter les femmes à prendre des moyens de contraception en vue de limiter la population noire, certains médecins (blancs bien évidemment) ayant recours à la stérilisation forcée.

Le dernier chapitre de la deuxième partie aborde le début des années 1940. Il traite pour commencer de la syphilis. Au XIXe siècle, les prostituées étaient accusées de la transmettre. Comme la maladie était encore méconnue, il fallait bien trouver des boucs émissaires. Dans les années 1930, lorsque la syphilis a recommencé à se propager aux États-Unis, ce sont les femmes dans leur globalité qui ont été accusées de transmettre la maladie, non seulement à leur partenaire sexuel, mais aussi à leurs enfants. Pour se marier, les femmes devaient donc se soumettre à un test de dépistage et, s’il était positif, se faire traiter à doses d’arsenic et de mercure jusqu’à ce que le test soit négatif. La suite du chapitre est dédiée à une autre maladie, qui ne concerne quant à elle que les femmes et qui est toujours aussi mal diagnostiquée à notre époque : l’endométriose. Je pensais naïvement que cette maladie n’avait été découverte que récemment, étant donné que l’on n’en parle que depuis quelques années. J’ai été surprise d’apprendre qu’elle était déjà connue et étudiée dans les années 1800, que l’on a commencé à se pencher plus sérieusement sur la maladie dans les années 1920 et qu’elle a été nommée « endométriose » en 1927. Pour tenter d’expliquer cette maladie, certains médecins ont à nouveau déclaré des absurdités. Selon leurs dires, elle serait causée par un mariage tardif et le manque de grossesses à un jeune âge. Dans les années 1940, le gynécologue américain Joe Vincent Meigs déclarait que l’endométriose était une « réaction physiologique à une menstruation persistante » et recommandait donc aux femmes de se marier tôt et d’avoir régulièrement des relations sexuelles avec leur mari afin de cumuler les grossesses. Elinor Cleghorn clôt cette deuxième partie en expliquant que peu d’attention était accordée aux troubles et maladies affectant les femmes en dehors de la reproduction et de la santé sexuelle. Cette négligence a faussé considérablement la compréhension du corps et de l’esprit des femmes, ce qui a entraîné des conséquences graves sur les décennies suivantes.

La troisième et dernière partie s’ouvre sur la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec l’inauguration du NHS, le système de santé national du Royaume-Uni. Si le tout premier patient était une jeune fille, les femmes n’ont joué que des rôles de soignantes et d’infirmières, tandis que les hommes étaient considérés comme les spécialistes de la santé. Après la guerre, les femmes se sont vues reléguer à leur rôle reproducteur. Il fallait en effet remonter le taux de natalité pour repeupler le pays. L’autrice parle ensuite un peu plus en détail des recherches autour du lupus. Cette maladie méconnue est encore aujourd’hui très mal diagnostiquée car les douleurs dont souffrent ses victimes n’ont pas de causes visibles. Les examens n’indiquant jamais de problème, les femmes affectées par le lupus étaient bien souvent considérées comme des hypocondriaques ou des malades mentales. Jamais prises au sérieux par les médecins de l’époque, les femmes victimes de maladies chroniques ou auto-immunes encore méconnues se voyaient dire que leur problème ne résidait que dans leur tête. Dans les années 1940, la seule manière de traiter ces maux était la lobotomisation. Les femmes ont d’ailleurs été très nombreuses à subir cette opération controversée. Cela a même été le cas de la sœur du président J. F. Kennedy. Le chapitre suivant aborde les années 1960, durant lesquelles de nombreuses femmes souffraient du « syndrome de la femme au foyer ». Pour soigner la fatigue et la nervosité causées par ce syndrome (que l’on appelle aujourd’hui « charge mentale »), les médecins faisaient la promotion de calmants visant à « soumettre les femmes frustrées au rôle que leur a imposé la société ».

La suite du chapitre est consacrée à la pilule. Il faut savoir que les premières pilules étaient réservées aux femmes souffrant d’endométriose et, étonnamment, aux femmes ménopausées. Les premières pilules contraceptives étaient dangereuses. Déjà dans les années 1960, des voix féministes s’élevaient contre la charge mentale supplémentaire qu’impliquait la prise de la pilule et se demandaient pourquoi les scientifiques ne cherchaient pas plutôt à trouver une pilule contraceptive pour les hommes. Si les choses commencent à bouger aujourd’hui, certains hommes étant prêts à prendre cette responsabilité, les effets secondaires de la pilule sur les femmes ne sont pas encore complètement compris et connus, ce qui explique d’ailleurs pourquoi les jeunes générations ont tendance à se détourner de ce type de contraception. Traitant toujours des années 1960, l’avant-dernier chapitre parle du moment où les femmes ont commencé à découvrir leur corps. Elinor Cleghorn parle notamment de May Edward Chinn, une médecin afro-américaine qui a joué un rôle déterminant dans l’élaboration du test de Papanicolaou (que l’on appelle plus couramment « frottis cervical » chez nous) pour dépister le cancer du col de l’utérus. Les femmes n’étaient toutefois pas à l’aise avec ces examens intimes. Pour les encourager à se faire dépister, l’avocate féministe américaine Carol Downer a fondé, avec d’autres militantes, le mouvement « Self-Help ». Lors de réunions exclusivement féminines, elle expliquait aux femmes comment examiner elles-mêmes leur vagin à l’aide d’un spéculum. On passe ensuite aux années 1970 et 1980, durant lesquelles un nouveau genre de diagnostic était posé sur les femmes dont on ne pouvait pas expliquer les maux : la somatisation, soit une douleur physique causée par une douleur psychique (encore une fois, tout est dans la tête). L’autrice parle ensuite de nombreux cas de médicaments insuffisamment testés que l’on administrait aux femmes (comme le diéthylstilbestrol visant soi-disant à limiter le risque de fausse couche alors qu’il était reconnu trop dangereux pour les hommes et même pour les poules...) et sur le manque de recherches concernant les symptômes et les effets de diverses maladies mortelles (comme le SIDA ou les maladies cardiaques) sur les femmes. Dans son dernier chapitre, Elinor Cleghorn raconte sa propre expérience et les années de souffrance avant de recevoir enfin son diagnostic. Elle termine son ouvrage en paraphrasant Maya Angelou :

« Quand une femme vous dit qu'elle souffre, croyez-la la première fois. »

Bref, vu la longueur du billet que je viens d’écrire, vous aurez compris que cet ouvrage m’a vraiment passionnée. Bien d’autres questions sont soulevées, bien d’autres noms de femmes exceptionnelles sont cités, mais je ne vais pas non plus réécrire tout le livre 😅. Si vous comprenez l’anglais et que le sujet vous intéresse, je vous invite donc à vous procurer Unwell Women et à le dévorer à votre tour.

Atomic Habits, de James Clear

Le début du mois de janvier est toujours idéal pour prendre de bonnes résolutions. C’est un moment de réflexion où l’on cherche à adopter de nouvelles habitudes et à se fixer d’autres objectifs. Je me disais donc que c’était le mois parfait pour vous parler de ce best-seller que j’ai lu durant mes vacances en Albanie.

J’ai lu ce livre dans sa version originale, mais il faut savoir qu’il a été traduit dans une multitude de langues. La version française s’intitule Un rien peut tout changer et a été assurée par Emmanuelle Hautbois (dont le nom est malheureusement caché dans les pages que le lecteur ne lit jamais 😑). Le sous-titre a été traduit par : « Micro-actions, méga-impact… De minuscules changements vont transformer votre vie ». Il s’agit donc d’un ouvrage de développement personnel. Je ne m’étais jamais vraiment penchée sur ce type de littérature, mais j’ai trouvé cette lecture intéressante et avais envie de vous la partager.

L’ouvrage s’ouvre sur l’histoire personnelle de l’auteur, dont la vie a considérablement changé après un grave accident. James Clear a pu se remettre de cette expérience traumatisante en adoptant de petites habitudes qui, une à une, ont fini par le transformer complètement. Devenu expert des habitudes à force d’écrire des articles et de donner des conférences sur le sujet, il a fini par écrire ce livre, qu’il a voulu concevoir comme un mode d’emploi. L’ouvrage est en effet très didactique, avec de nombreux tableaux et graphiques, des exemples concrets et une synthèse récapitulative à la fin de chaque chapitre.

Dans les 3 premiers chapitres, James Clear explique la base de sa méthode. On découvre ainsi le pouvoir des petites habitudes, le principe du « 1% better » (comprenez 1% d'amélioration par jour), l’importance de se concentrer sur le système à mettre en place pour parvenir à un objectif plutôt que sur l’objectif en lui-même ou encore la manière dont les habitudes peuvent façonner l’identité (et inversement). Cette première partie se termine par la présentation des 4 lois pour créer ou abandonner une habitude :

Signal (cue)
⬇️
Envie (craving)
⬇️
Réponse (response)
⬇️
Récompense (reward)

Ces 4 lois se traduisent par des actions différentes selon que l’on souhaite créer une bonne habitude ou se débarrasser d’une mauvaise habitude. Le signal signifie qu’il faut rendre l’habitude évidente ou invisible, l’envie implique qu’il faut la rendre attractive ou répulsive, la réponse demande de la simplifier ou de la rendre difficile et la récompense vise à la rendre satisfaisante ou insatisfaisante. Petit tableau pour mieux comprendre :

Créer une habitudeSe défaire d’une habitude
SignalLa rendre évidenteLa rendre invisible
EnvieLa rendre attractiveLa rendre répulsive
RéponseLa rendre facileLa rendre difficile
RécompenseLa rendre satisfaisanteLa rendre insatisfaisante

L’ouvrage se divise ensuite en 4 parties, une pour chaque loi. Chacune se compose de plusieurs chapitres qui offrent une multitude de petits conseils pratiques. Pour étayer ses propos, James Clear s’appuie sur des recherches biologiques, neuroscientifiques, psychologiques et philosophiques, mais aussi sur des exemples concrets. Chaque chapitre commence ainsi par une anecdote pour contextualiser chaque action. Je me souviens notamment du chapitre 14 qui s’ouvre sur le moyen farfelu qu’aurait trouvé Victor Hugo pour arrêter de procrastiner et de sortir plutôt que d’écrire. L’écrivain aurait demandé à un assistant d’enfermer tous ses vêtements dans un coffre pour ne garder qu’un grand châle. Il serait resté enfermé plusieurs mois dans son bureau, uniquement vêtu de cette étoffe, et serait parvenu à achever, 2 semaines avant le délai prévu, l’un de ses plus grands chefs-d’œuvre : Notre-Dame de Paris. Je me souviens également de la technique du « pointing and calling » (qu'on pourrait traduire par « montrer et nommer »), que les conducteurs de train et autres employés du système ferroviaire japonais appliquent consciencieusement. Concrètement, quand un conducteur de train approche d’un feu de signalisation, il va pointer le feu du doigt et dire à haute voix « rouge » ou « vert » (en japonais bien sûr, mais je ne parle pas cette langue 😅). Cela peut sembler bête, mais le système ferroviaire japonais a vu le nombre d’accidents baisser considérablement grâce à cette petite habitude. Ce ne sont que 2 exemples, mais Atomic Habits abonde d’anecdotes de ce genre.

La dernière partie du livre donne plusieurs tactiques avancées de création d’habitudes. Une conclusion et une annexe renvoyant au site de l’auteur et à ses différents cours complètent l’ouvrage.

J’appliquais déjà plusieurs tactiques expliquées dans le livre, comme le principe de cumuler les habitudes ou de les « empiler » (« habits stacking »), c’est-à-dire qu’après avoir accompli une action que l’on peut qualifier de bonne habitude, vous en accomplissez une nouvelle. C’est concrètement ce que je fais chaque matin avec ma petite routine : après ma séance de yoga, je vide mon esprit dans mon journal. Après avoir écrit dans mon journal, je fais ma méditation, et ainsi de suite. Comme j’avais du mal à me remettre à l’étude de l’allemand, j’ai ajouté cette habitude à cette suite d’actions devenues automatiques. Résultat, j’ai suivi assidument une leçon par jour. J’avais aussi déjà appliqué le principe de rendre une habitude difficile quand j’ai commencé à utiliser le minuteur d’applications et les modes de concentration de mon téléphone (comme j'en parlais ici).

En résumé, les techniques présentées dans Atomic Habits peuvent paraître simples, mais elles sont efficaces si on parvient à les suivre. L’ouvrage est en outre agréable à lire et très intéressant vu les nombreuses anecdotes utilisées pour expliquer la méthode. Je le recommande donc à tous ceux et toutes celles qui ont du mal à respecter leurs nouvelles résolutions adoptées le 1er janvier 😉

Croque-livre : Trois, de Valérie Perrin

Il y a un peu plus de 2 ans, j’ai eu un coup de cœur pour Changer l’eau des fleurs de Valérie Perrin. Lors d’un de mes derniers passages à la gare de Liège-Guillemins avant de prendre mon train vers l’Allemagne, je n’ai donc pas réfléchi une seconde en trouvant sur les étals de la librairie son dernier titre. Me voilà 30 secondes plus tard à la caisse avec Trois dans les mains.

Valérie Perrin nous embarque cette fois-ci dans l’histoire d’une amitié, celle d’Adrien, d’Étienne et de Nina, mais aussi dans deux faits divers : une voiture retrouvée au fond d’un lac et une jeune fille disparue. Virginie, journaliste (et traductrice, je tiens à le préciser :D) est le personnage mystérieux qui vous fait entrer dans ce nouvel univers. Le récit saute habilement du passé au présent d’un chapitre à l’autre, mettant en avant les points de vue de divers personnages. Le suspense est au rendez-vous dès le début, vous poussant à tourner les pages. Comme dans Changer l’eau des fleurs, Valérie Perrin aborde aussi bien la mort que la vie, de l’innocence de l’enfance à la désillusion de l’âge adulte. Je ne suis pas de la génération dont elle parle, mais elle peut être une belle madeleine de Proust pour les quarantenaires, l’autrice faisant de nombreuses références musicales. Si j’ai été un peu moins attachée à ces trois amis bien différents qu’à Violette, la protagoniste de son roman précédent, j’ai aimé percer les secrets de chacun d’eux.

À travers ces récits qui se relient au fil des pages, la romancière aborde de nombreux thèmes de société, allant de la violence conjugale à la transidentité, mais toujours avec une simplicité et une poésie attachantes. J’ai ainsi noté dans mon carnet de lecture certaines phrases qui m’ont attendrie ou fait sourire, comme ce court dialogue entre Nina enfant et son grand-père après une visite au zoo :

« - Qu'est-ce que tu as préféré ? Les girafes ou les lions ?
- Le train.
- Pourquoi le train ?
- Parce qu'il est libre. » 

ou encore cette phrase que j’ai trouvée si juste :

Dès qu'on libère des adultes qui ont été mômes ensemble, l'enfance remonte à la surface.

S’il ne m’a pas autant chamboulée que Changer l’eau des fleurs, Trois m’aura fait vivre de très beaux moments de lecture et surprise par le développement de plusieurs récits. Un an jour pour jour s’écoule entre le premier et le dernier chapitre, mais les 752 pages qui les séparent vous feront passer par toutes les émotions. Je vous le recommande donc 🙂

Toute une moitié du monde, Alice Zeniter

Comme pour Le Jeune Homme d’Annie Ernaux, c’est lors d’un de mes passages dans une petite librairie de presse de la gare de Lille-Europe que j’ai acheté sur un coup de tête cet essai d’Alice Zeniter. Quelques semaines auparavant, j’avais vu un extrait d’interview de cette autrice et cela avait attisé ma curiosité. Voici donc mon billet Croque-livre sur Toute une moitié du monde.

Après avoir écouté Alice Zeniter sur France Culture et me fiant au titre de son ouvrage, je pensais qu’elle n’aborderait que la place des femmes en tant qu’écrivaines. Cet essai va toutefois bien plus loin que cela. Il s’agit d’une réflexion globale sur ce qu’est la fiction, non seulement dans le monde littéraire, mais aussi dans celui du cinéma. Elle explique dans son chapitre préliminaire qu’elle a commencé à l’écrire durant le confinement, période durant laquelle elle avait eu beaucoup de mal à se plonger dans un roman, alors qu’elle avait toujours été une grande lectrice (difficulté que j'ai également éprouvée durant ces mois d'isolement d'ailleurs). Elle a alors remis en question sa relation avec la fiction, en tant que lectrice, mais aussi en tant qu’autrice.

Les trois premiers chapitres m’ont particulièrement intéressée puisqu’ils abordent la place des femmes dans l’univers de la fiction. Le premier traite principalement de la difficulté d’Alice Zeniter à s’identifier à des personnages féminins, qui sont bien trop souvent passifs. Elle l’entame en parlant de sa découverte de l’existence du test de Bechdel (je vous mets le lien vers l'article Wikipédia qui l'explique si vous ne le connaissez pas), de la représentation des femmes dans la littérature et de l’absence du désir féminin dans les romans. Le deuxième est consacré à la difficulté d’être autrice, de s’imposer dans ce monde encore trop dominé par les hommes et de s’identifier soi-même en tant qu’écrivaine, ce terme ayant toujours été réservé aux hommes. Elle y parle du sexisme des écrivains et raconte quelques expériences glaçantes vécues dans le monde fermé de l’édition. L’autrice y déplore également le fait que les écrivaines ne sont élevées au rang de créatrices littéraires que lorsqu’elles sont panthéonisées. Elle dénonce enfin la pression que les autrices subissent pour être jolies ou féminines afin de pouvoir intéresser les lecteurs. Le troisième est quant à lui dédié à ce qu’elle appelle la « parade virile », soit qu’il faut être un homme, un vrai (à la manière d'Hemingway si l'on prend l'exemple le plus fragrant), pour être considéré comme un génie de la littérature.

Les chapitres suivants sont plus techniques. Alice Zeniter s’y penche davantage sur le roman en tant que forme de fiction et sur l’art de l’écriture. Elle se questionne notamment sur la manière de réinventer le roman, sur la place importante qu’y jouent les personnages, sur l’utilité de son métier, sur les relations conflictuelles sur lesquelles se basent toutes les œuvres de fiction (aussi bien littéraires que cinématographiques), sur l’absence de la nature dans les ouvrages ou encore sur comment bien terminer un livre, chapitre qui clore d’ailleurs son « essai » (que je mets entre guillemets tellement ce livre sort de l'ordinaire).

J’ai bien aimé plonger dans les réflexions de cette grande lectrice et autrice (traductrice qui plus est), même si les chapitres plus techniques ont parfois mis à mal ma concentration. C’est en effet une lecture extrêmement riche, qui se base sur une multitude de références littéraires. Cet ouvrage m’a d’ailleurs donné envie de lire d’autres autrices et surtout Toni Morrison, dont les extraits d’interview ponctuent Toute une moitié du monde.

Si vous êtes un(e) grand(e) lecteur/lectrice et que vous êtes passionné(e) par l’art de l’écriture, cet ouvrage saura vous combler.

Le Jeune Homme, Annie Ernaux

Lors de chaque aller-retour vers Londres depuis la gare de Lille-Europe, j’ai pour habitude d’attendre mon bus en me rendant dans le rayon des nouveautés littéraires d’un petit magasin de presse. Comme certaines personnes ne peuvent s’empêcher d’acheter une nouvelle paire d’escarpins à chaque visite dans un magasin de chaussures (je ne vise personne 😉), je me retrouve pratiquement à chaque fois à la caisse avec un nouveau livre dans les mains.

Ayant déjà une énorme pile de bouquins à dévorer et devant absolument profiter de mon trajet de 6 heures en bus pour avancer dans mon projet de traduction à rendre dans quelques jours, je m’étais toutefois juré de ne rien acheter cette fois-ci. Je venais à peine de me faire cette promesse que j’ai aperçu un tout petit ouvrage au bandeau rouge indiquant en grandes lettres blanches « Ernaux ». Depuis l’annonce de la remise du Prix Nobel de Littérature à cette écrivaine française que je ne connaissais pas, j’ai très envie de découvrir son œuvre. Un coup d’œil à la quatrième de couverture a suffi pour faire envoler ma promesse :

Ce texte est une clé pour lire l’œuvre d’Annie Ernaux — son rapport au temps et à l’écriture.

Me voilà donc devant la caissière du magasin de presse avec un petit paquet de biscuits (au cas où mon ventre crie famine durant le périple en bus qui m'attend) et Le Jeune Homme d’Annie Ernaux (pour étancher ma soif de lecture et de découverte littéraire).

S’il compte moins de 40 pages, cet ouvrage m’a permis de me faire une première impression de cette autrice et professeure de lettres. Dans ce roman autobiographique, style qui caractérise la quasi-totalité de son œuvre, Annie Ernaux parle de la relation controversée qu’elle a entretenue avec un jeune homme de trente ans son cadet pendant 3 années au milieu des années 1990. Elle explique dès la première page du livre que « c’est peut-être ce désir de déclencher l’écriture du livre — [qu’elle] hésitai[t] à entreprendre à cause de son ampleur — qui [l’]avait poussée […] » à avoir une relation sexuelle avec un étudiant. L’ouvrage qu’elle redoutait d’écrire est L’Événement, autre roman autobiographique qui parle de son avortement clandestin. La relation avec ce jeune homme lui permet en effet de replonger dans ses propres années d’étudiante et de revivre ses souvenirs de jeunesse jusqu’à cette expérience traumatisante. Annie Ernaux nous fait ainsi voyager dans le temps, sautant du passé au présent d’un paragraphe à l’autre.

Si elle ne décrit que des « banalités », comme aiment à le dire ses détracteurs qui s’offusquent de la voir récompensée par le prestigieux prix Nobel alors qu’elle n’est pas un « grand écrivain » (au masculin, comprenez bien...), Annie Ernaux est parvenue à me faire voyager durant un trajet de métro. Assise sur mon siège, je découvrais tantôt la vie d’une étudiante dans les années 1960, tantôt celle d’une quinquagénaire déterminée à « ne pas cacher [s]a liaison avec un homme ‘qui aurait pu être [s]on fils’ quand n’importe quel type de cinquante ans pouvait s’afficher avec celle qui n’était visiblement pas sa fille sans susciter aucune réprobation ». C’est peut-être cela qui fait dresser les poils des détracteurs d’Annie Ernaux : elle est une femme comme toutes les autres, qui parle de sa vie et de ses désirs sans plus se soucier du qu’en-dira-t-on. Le Jeune Homme n’a donc fait qu’attiser mon envie de lire cette autrice, et particulièrement son roman phare, d’autant plus à une époque où le droit à l’avortement est compromis aux quatre coins du monde.

Ma pile de livres à lire peut continuer de s’allonger, je ne pourrai pas m’empêcher d’y ajouter L’Événement la prochaine fois que j’entrerai dans une librairie. Vous risquez donc d’entendre à nouveau parler d’Annie Ernaux dans un prochain billet Croque-livre.

Mon mari, de Maud Ventura

Publié le

Pour ce long week-end de Pâques, j’avais envie de vous partager un petit billet croque-livre. Un roman léger que l’on peut savourer comme un œuf en chocolat.

J’ai trouvé ce roman il y a déjà quelques mois, lors d’une petite journée shopping avec ma meilleure amie, qui m’a fait le cadeau de m’emmener dans une librairie et de me dire qu’elle m’offrait les livres que je voulais pour mon anniversaire (on avait plusieurs mois à rattraper 😷). Après de longues hésitations, je me suis décidée pour deux romans, dont celui-ci. J’avoue avoir été attirée par le bandeau, sur lequel s’affiche l’avis d’Amélie Nothomb : « Un délice irrésistible ! ». Étant fan des ouvrages de l’auteure belge au chapeau noir, je me suis donc laissé tenter. Et je n’ai pas été déçue !

Écrit à la première personne, Mon mari suit les états d’âme d’une femme dont la vie semble parfaite, mais qui connaît toutefois un fâcheux problème : elle est follement amoureuse de son mari. Après avoir expliqué son problème dans le prologue, la narratrice nous embarque dans sa semaine, le roman étant divisé en 7 parties, correspondant aux 7 jours. Elle semble souffrir de synesthésie car elle associe chaque jour à une certaine couleur, et donc à une certaine humeur. On découvre ainsi à chaque fois une nouvelle facette de ce personnage et de sa vision de l’amour, qui est loin d’être saine mais qui, pour reprendre les mots de l’auteure, correspond aux « vieux schémas patriarcaux qui persistent » encore aujourd’hui. Le tout écrit sur un ton léger et avec beaucoup d’humour, ce qui rend la lecture très agréable.

Si j’avais envie de parler de ce roman, c’est aussi parce que la protagoniste est (roulement de tambour 🥁) traductrice ! On apprend en effet à la page 17 qu’elle est professeure d’anglais, mais aussi « traductrice pour une maison d’édition ». Quatre pages (de la page 43 à 46) sont d’ailleurs consacrées davantage à son métier. Elle explique ainsi son processus de traduction et les difficultés qu’elle rencontre pour traduire le titre de l’ouvrage sur lequel elle travaille tout au long du roman. On retrouve également plusieurs réflexions sur la traduction, notamment lorsqu’elle parle plus loin de la chanson choisie pour leur mariage. Bref, je me suis plusieurs fois demandé si l’auteure était, elle aussi, traductrice ou si elle avait fait des études de traduction. Mais non, Maud Ventura a fait des études de philosophie puis de management et elle s’est ensuite dirigée vers le monde de la radio. Elle a d’ailleurs eu l’idée de son roman au cours des enregistrements de son podcast Lalala, consacré au sentiment amoureux.

Cela ne change toutefois rien à la qualité de son premier roman, qualifié par beaucoup de « féministe » (tiens donc, encore un ♀️). Alors qu’on se rend très bien compte de la dépendance affective maladive de cette femme et que ses réactions sont disproportionnées, on ne peut en effet pas s’empêcher de se retrouver dans certaines situations ou d’avoir eu le même genre de réflexion en tant que femme. C’est ainsi assez révélateur du caractère insidieux du patriarcat. L’auteure en parle mieux que moi donc je vous invite à l’écouter dans cette interview.

Cela vous aura peut-être donné envie de plonger dans son roman et de vivre à votre tour un délicieux moment de lecture.

Réinventer l’amour : comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles, de Mona Chollet

Pour poursuivre dans l’esprit de mon billet précédent et rester dans le thème de la Saint-Valentin, qui a eu lieu ce lundi, j’avais envie de vous parler d’un essai féministe (oui, encore un 😁) de Mona Chollet, acheté durant mes vacances en Bretagne et rapidement dévoré.

J’ai découvert cette journaliste et essayiste suisse il y a un peu plus de deux ans, avec son phénoménal Sorcières, qui mérite d’ailleurs lui aussi son billet Croque-livre. Après avoir parlé de la « puissance invaincue des femmes », Mona Chollet aborde un sujet assez polémique dans les milieux féministes : l’amour hétérosexuel. Elle entame d’ailleurs son essai en expliquant le paradoxe auquel elle est confrontée, elle qui est à la fois féministe et une ancienne grande romantique avec un profond « amour de l’amour ». Sa vision de l’amour avec un grand A a toutefois évolué au fil de ses lectures féministes et surtout depuis l’avènement du mouvement #MeToo, qui a remis en question les rapports hommes-femmes. À travers quatre grands chapitres, Mona Chollet nous apporte des éclairages sur notre manière de concevoir l’amour et les relations entre hommes et femmes et met en lumière celui qui s’immisce inévitablement dans nos vies de couple et dans notre lit : le patriarcat.

Après avoir repris certains grands mythes romantiques dans le prologue pour tirer plusieurs premières conclusions, en abordant notamment l’injonction des femmes à être parfaites et la charge mentale qui découle systématiquement de la cohabitation hommes-femmes, Mona Chollet explore quatre grands thèmes.

« Se faire petite » pour être aimée traite de « l’infériorité des femmes dans notre idéal romantique », que ce soit au niveau de la taille physique, de l’espace qu’elles prennent sur les plans professionnel, économique, social et sexuel, avec pour conclusion que la femme doit toujours être soumise et silencieuse pour être désirable.

Des hommes, des vrais explore la culture qui autorise les violences conjugales, en reprenant plusieurs affaires horribles, dont la mort de Marie Trintignant sous les coups de Bertrand Canta, mais aussi en parlant de la fameuse question de la séparation de l’homme et de l’artiste. Mona Chollet tente à travers ce chapitre de comprendre ce qui engendre les pervers narcissiques et ce qui peut pousser les femmes à se retrouver dans des relations violentes, voire à être attirées par des hommes dont la violence est de notoriété publique.

Les gardiennes du temple aborde le fait que l’on apprend encore et toujours à l’école et à travers notre culture que l’amour, « c’est un truc de filles ». Une phrase de ce chapitre m’a particulièrement marquée par sa justesse : « On éduque les femmes pour qu’elles deviennent des machines à donner, et les hommes pour qu’ils deviennent des machines à recevoir ». Bien souvent, les femmes sont celles qui cherchent à améliorer la relation, qui se remettent en question et qui comblent les désirs de leur compagnon en désespérant de recevoir le même niveau d’attention que ce qu’elles prodiguent. « Si les femmes peuvent si souvent passer pour des créatures capricieuses et tyranniques, aux demandes affectives exorbitantes, et les hommes pour des êtres solides, autonomes, à la tête froide, c’est parce que les besoins émotionnels des seconds, contrairement à ceux des premières, sont pris en charge et comblés de manière aussi zélée qu’invisible ». Mona Challet mentionne d’ailleurs un dessin de l’illustratrice Emma qui résume bien l’idée :

Illustration tirée de la BD Le Pouvoir de l’amour d’Emma : https://www.facebook.com/media/set/?set=a.1092643331071877&type=3

La grande dépossession parle enfin de l’influence du patriarcat dans notre plus profonde intimité. Mona Chollet y aborde l’objectification systématique des femmes dès leur plus jeune âge et l’autocensure que celles-ci s’imposent vis-à-vis de leurs fantasmes. Reprenant des scènes cultes du cinéma ou de la littérature, l’autrice essaye de déceler l’origine de ses propres fantasmes, dans lesquels la domination masculine est omniprésente. Elle traite ainsi de la culture du viol dans laquelle nous baignons toujours.

Si cette lecture m’a laissée légèrement sur ma faim par rapport à Sorcières (il faut vraiment que j'écrive ce billet Croque-livre 🙄), je l’ai trouvée passionnante. En tant que grande romantique, biberonnée aux contes de fées et aux ballets classiques, j’ai un peu le même conflit intérieur que Mona Chollet avec d’une part, mes revendications féministes et d’autre part, mon côté fleur bleue. Plutôt que de peindre un sombre tableau des relations hommes-femmes (même si on ne va pas se mentir, c'est pas joli-joli), l’autrice nous aide à mieux comprendre certaines de nos réactions et de nos habitudes et nous laisse croire que l’amour hétérosexuel peut se défaire du patriarcat et se vivre de manière plus égalitaire, si tant est que l’on change notre vision des choses et que notre culture évolue vers un monde sans aucune domination (on peut toujours rêver 😅).

Homme ou femme, si vous voulez faire partie du changement, la lecture de cet essai constitue déjà un bon premier pas.

Les Grandes Oubliées – Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes, Titiou Lecoq

Ma première lecture de 2022 aura été passionnante et méritait un petit billet Croque-Livre. J’ai eu le plaisir de recevoir à Noël cet essai féministe et je ne peux que le recommander vivement.

Dans cet ouvrage, la journaliste, essayiste et romancière française Titiou Lecoq nous emmène dans un fabuleux voyage dans le temps à la découverte de grandes dames oubliées ou trop peu connues. Des femmes préhistoriques et déesses antiques à Gisèle Halimi et à nos combats d’aujourd’hui, elle raconte les grandes étapes de l’Histoire en rendant hommage à celles dont on ne parle jamais et qui constituent pourtant la moitié de l’humanité. Elle met également à l’honneur de nombreuses historiennes, en appuyant son essai sur leurs recherches.

Avec pédagogie, et une bonne dose d’ironie, elle explique comment la situation féminine a changé à travers les siècles, révèle les injustices que nos ancêtres ont dû subir et dépeint le portrait de véritables héroïnes qui ont eu une vie si extraordinaire que l’on se demande vraiment pourquoi leur nom a été jeté aux oubliettes. On y apprend aussi comment les avancées scientifiques au fil du temps ont changé le rapport entre les hommes et les femmes. Titiou Lecoq nous permet ainsi de redécouvrir l’histoire sous un autre angle.

J’ai appris énormément de choses, comme le fait qu’il existait des chevaleresses, des bâtisseuses de cathédrale et des recluses volontaires. J’ai particulièrement aimé le chapitre 9, « Autrice, oubli d’un mot et d’une profession », qui traite des changements linguistiques survenus au XVIIe siècle, quand l’Académie française a décidé que « le masculin l’emporte sur le féminin, peu importe le nombre ». Titiou Lecoq présente d’ailleurs plusieurs règles linguistiques moyenâgeuses et explique bien que l’idée de l’écriture inclusive, grand sujet de débat chez les linguistes aujourd’hui, n’est pas de « féminiser la langue », mais bien « de la démasculiniser, parce qu’elle a été masculinisée de force ». Elle parle ensuite de la disparition du terme « autrice », mais aussi de l’effacement de cette profession au féminin. On découvre alors l’histoire de Catherine Bernard, « première femme dramaturge jouée à la Comédie-Française ». Bref, je ne vais pas vous raconter tout le chapitre, mais c’est absolument passionnant, tout comme le reste de l’ouvrage.

Elle termine son essai par un plaidoyer pour que les femmes trouvent enfin leur place dans nos manuels d’histoire. Car oui, encore aujourd’hui, les enfants apprennent l’Histoire sous un point de vue essentiellement masculin, dans un monde apparemment peuplé uniquement de rois, de héros et de soldats. « Ceux qui pensent que changer les programmes scolaires est encore une lubie de féministes hystériques, ceux-là ne se sont jamais demandé ce que signifie de grandir avec une histoire dont nos semblables sont exclues. Qu’est-ce que, petite fille, on perçoit quand on ne nous raconte que l’histoire des hommes ? […] C’est maintenant, à l’âge adulte, en découvrant l’histoire de nos ancêtres, de la moitié de nos ancêtres pour être précise, que je réalise la tromperie dont j’ai été victime. La relégation de mes aïeules me met en colère. » Et c’est vrai que l’on a du mal à rester de marbre face à cette injustice. Alors, si l’on peut faire quelque chose à notre échelle pour honorer ces grandes dames, c’est de découvrir leur histoire, notamment à travers cet ouvrage.

Vous l’aurez compris, j’ai adoré cet essai et je vous le conseille chaudement.

Premier sang, d’Amélie Nothomb

Difficile de résister à l’achat du dernier Amélie Nothomb. C’est pendant mes vacances en Bretagne, lors de ma visite de Saint-Malo, et grâce à la bonne idée de mon cher et tendre de m’emmener dans une librairie que je l’ai directement repéré sur l’étalage et acheté aussitôt. Voici donc un nouveau billet croque-livre.

Cette année, Amélie Nothomb retourne à ses récits biographiques en racontant l’histoire de son père, Patrick Nothomb, mort en 2020. Comme elle l’explique dans cet entretien avec Léa Salamé sur France Inter, l’autrice belge s’est mise dans la peau de son père pour raconter son enfance rocambolesque jusqu’à l’épisode véridique de son simulacre d’exécution à Stanleyville, lors de la prise d’otage de 1964 au Congo. Si le récit est romancé à la sauce Amélie Nothomb, les faits sont bien réels, notamment l’étrange comportement de son père auquel le titre fait référence : son patriarche perdait en effet connaissance à la vue du sang. Cherchant à faire revivre son père le temps de l’écriture de ce roman comme elle n’avait pas pu lui dire adieu, Amélie Nothomb nous conte la naissance d’un héros surprenant avec beaucoup d’amour et d’espoir, mais aussi pas mal d’humour, reflétant ainsi l’esprit de ce grand diplomate belge.

Il ne s’agit pas de mon roman préféré de l’écrivaine aux cheveux d’ébène et aux chapeaux noirs, mais il m’a permis de passer deux belles après-midi de lecture sous le ciel étonnamment radieux de la Bretagne, tout en faisant voyager mes pensées vers ma Belgique natale grâce aux lieux que traverse Patrick Nothomb dans le roman de sa fille.

C’était donc ma petite lecture traditionnelle de la rentrée. À bientôt pour d’autres billets !

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