Bonjour tout le monde ! Comme vous vous en doutez, mon billet de cette semaine sera consacré à la Foire du Livre de Bruxelles. J’ai en effet passé toute la journée de lundi sur le site de Tour & Taxis pour assister aux rencontres de la première Journée de la traduction littéraire (qui ne se limitait d’ailleurs pas à la traduction littéraire mais à bien d’autres domaines de la traduction et de l’interprétation).
Voici donc un « résumé » de cette journée très intéressante.
Accompagnée de ma meilleure amie Florence, j’arrive sur le site de la Foire du Livre un peu avant midi pour assister aux dernières minutes de la rencontre intitulée « Traduire la poésie : miracle ou sueur ? ». Je ne pourrais malheureusement pas dire grand-chose sur le sujet car nous avons simplement eu l’occasion d’entendre quelques lectures de traductions de poèmes, ce qui était en passant fort agréable. La rencontre s’est terminée sur une belle déclaration de Bart Vonck, poète et traducteur flamand, qui déplorait la position que prennent certains pays d’Europe face à l’arrivée des migrants. Quand on est traducteur, on est en effet (en principe du moins) plus ouvert à la culture des autres et voir les frontières se fermer devant ces personnes qui peuvent nous apporter tellement en termes d’échanges est tout simplement insupportable. Je ne pouvais qu’approuver son message, qui a d’ailleurs été largement applaudi par l’audience.
Ce fut une très belle introduction à la rencontre suivante : « Traduire les larmes : quand l’interprète devient la voix des exilés ». Les interprètes invités pour l’occasion nous ont raconté les difficultés qu’ils rencontrent fréquemment dans leur métier. Rana Abdalhafiz, interprète d’origine palestinienne accompagnant des délégations dans les zones de conflit, et Marc Lebon, interprète spécialisé dans les langues africaines travaillant à la Cour pénale internationale, ont tous deux été confrontés à des discours chargés d’émotions qui ne peuvent laisser indifférent. Et pourtant, l’interprète doit avoir la force nécessaire pour traduire les larmes, les cris et les horreurs en faisant toujours preuve d’impartialité. Que ce soit sur le terrain ou dans une salle de tribunal, l’interprète doit être capable d’inspirer assez de confiance à l’interlocuteur étranger tout en gardant une certaine réserve pour ne pas lui donner l’impression qu’il est pour ou contre lui. Il doit aussi avoir assez de pudeur pour aborder avec délicatesse des sujets plus sensibles. Ainsi, Marc Lebon, interprète à la Cour pénale internationale, explique qu’il existe des codes qui sont utilisés au tribunal pour parler de certains tabous. Par exemple, l’expression « servir du café » est un code pour parler de la torture. Être interprète dans ce genre de situation, ce n’est donc pas seulement maîtriser les langues sur le bout des doigts et avoir une bonne résistance au stress, mais aussi être capable de rester impassible en toutes circonstances. Bref, ces deux interprètes m’ont vraiment impressionnée.
Après ces 50 minutes tellement passionnantes que je n’ai pas vu le temps passer, Franz Lewmaitre, le chef d’unité d’interprétation de langue française de la Commission européenne, est venu nous parler du « Multilinguisme en action dans les institutions européennes ». Personnage charismatique, il a voulu rendre la rencontre plus interactive en demandant aux membres du public ce qu’ils voulaient savoir sur le cercle prestigieux des traducteurs et interprètes des grandes institutions européennes. La première question, que probablement beaucoup de personnes rêvaient de poser, concernait bien évidemment la rémunération des linguistes engagés par ces organismes. Eh bien, si je savais déjà que l’on avait la belle vie quand on était traducteur ou interprète à la Commission, j’ai été surprise par les chiffres : 4 000€ net (!) par mois pour tout employé en début de carrière, somme qui peut aller jusqu’à 10 000€ net (!) par mois en cumulant les années d’expérience… Sachez aussi que la Commission fait appel à des interprètes freelance qui peuvent espérer une rémunération de 400€ la journée. Mais, bien sûr, accéder à ce poste de rêve n’est pas donné à tout le monde. Il faut ainsi savoir interpréter depuis au moins 3 langues de travail et réussir les examens d’entrée. Ceci dit, Franz Lewmaitre nous a expliqué que la plupart des personnes qui rataient ces épreuves n’échouaient pas à cause d’un manque de connaissances dans leurs langues étrangères, mais d’un niveau insuffisant en français. En effet, comme je l’ai d’ailleurs expliqué dans plusieurs de mes billets, un interprète ou un traducteur doit surtout avoir un excellent niveau dans sa langue maternelle. Si vous voulez donc entreprendre des études dans ce domaine, ne l’oubliez jamais ! La dernière question de cette rencontre bien trop courte à mon goût concernait un sujet assez brûlant en ce moment : l’avenir de la traduction et de l’interprétation. Ces derniers temps, je tombe en effet souvent sur des articles tirant la sonnette d’alarme quant à la situation des traducteurs et interprètes qui seront bientôt remplacés par des machines. Franz Lewmaitre nous a toutefois rassurés sur ce point. Il nous a expliqué qu’on l’avait déjà mis en garde au début de ses études en 1990, en lui disant que le métier de traducteur disparaîtrait dans 10 ans. La même annonce apocalyptique lui a été faite 5 ans plus tard quand il a commencé à travailler. Au cours de sa carrière, il entend à plusieurs reprises le même discours. Résultat, cela fait désormais plus de 25 ans qu’il travaille et les traducteurs et interprètes n’ont toujours pas disparu. Leur nombre n’a même jamais cessé d’évoluer ! Bien sûr, leur métier n’est plus le même qu’autrefois vu qu’ils peuvent profiter des progrès techniques. Mais l’époque où les interprètes et traducteurs seront totalement remplacés par des robots n’est pas encore venue.
Preuve en est la rencontre suivante qui concernait « Les nouveaux métiers de la traduction » (la Première avait d’ailleurs consacré une émission sur le sujet, voici le podcast si vous souhaitez l’entendre). Car oui, au lieu de disparaître, la traduction s’ouvre à de nouveaux horizons. Parmi ceux-ci, le surtitrage d’opéra, sujet auquel j’avais déjà consacré un billet, la traduction de jeux vidéo et le copywriting :
- Métier n’existant que depuis une vingtaine d’années, le surtitrage d’opéra est de plus en plus utilisé. Brigitte Brisbois, surtitreuse, nous a expliqué que cette profession est d’abord apparue aux États-Unis et au Canada avant de se répandre en Europe. Autrefois, les paroles des opéras étaient traduites (ou plutôt adaptées) pour chaque pays. Certaines troupes interprètent d’ailleurs encore aujourd’hui certains grands opéras dans leur propre langue. Mais au XIXe siècle, notamment grâce aux tournées des spectacles et des grands solistes, on constate un certain retour aux sources. Les amateurs d’opéra de cette époque ont ainsi l’habitude de préparer leur sortie au théâtre en lisant le livret pour s’imprégner de l’histoire avant de pouvoir apprécier l’œuvre dans la langue originale. Mais aujourd’hui, plus personne ne prend le temps de s’intéresser à l’intrigue de l’opéra et tout le monde préfère la découvrir directement sur scène, surtout qu’il est désormais possible d’avoir la traduction des paroles sur place. En plus d’être un métier passionnant, le surtitrage demande au traducteur de pouvoir manier suffisamment la langue pour que ses surtitres puissent dire l’essentiel sans distraire les spectateurs.
- Autre domaine, la traduction de jeux vidéo est en plein essor. Selon Manu Roy, traducteur spécialisé dans l’audiovisuel, ce type de traduction pourrait être classé dans la catégorie de la traduction littéraire car les jeux vidéo d’aujourd’hui présentent des mises en scène et des dialogues recherchés dignes de films. Il faut bien évidemment avoir quelques connaissances dans le domaine, mais cela se résume souvent aux termes types que l’on retrouve dans les menus et les descriptions des touches de commande. L’industrie du jeu vidéo étant en pleine forme, la demande pour ce type de traduction est très importante et les industriels sont prêts à payer le prix fort pour obtenir des textes de qualité. À bon entendeur…
- Et dernier domaine qui a fait son apparition dans le secteur de la traduction : le copywriting, terme que Francisco Aldariz, directeur de l’agence de traduction Crossword, traduit par « adaptation ». Le copywriting est en effet à la frontière entre la traduction et la rédaction publicitaire. Son but est d’adapter un texte de type marketing à un marché étranger pour promouvoir un produit, un service ou une entreprise. Ce métier ne m’est pas inconnu puisque je fais également ce genre de travail depuis plus de trois ans. Et je sais donc que c’est un service de plus en plus demandé. Comme quoi, la traduction évolue et se transforme mais n’est pas un secteur en danger de disparition !
Si j’ai attendu avec impatience la rencontre suivante, qui devait à la base être un « Atelier de surtitrage en direct », j’ai été assez déçue. Par manque de moyen technique sur place, l’atelier annoncé s’est transformé en cours théorique sur le surtitrage de pièces de théâtre. Le traducteur Michel Bataillon a ainsi expliqué en long et en large ce qu’est le métier de surtitreur. S’il est semblable de loin au surtitrage d’opéra, le surtitrage de pièces de théâtre est toutefois assez différent et pose d’autres exigences. En effet, si le surtitreur d’opéra peut se reposer sur la partition musicale et laisser sa traduction telle quelle pendant toute la durée des prestations du spectacle, le surtitreur de théâtre doit assister à chaque représentation de la pièce et adapter son texte aux changements de dernière minute imposés par le metteur en scène ou les acteurs. Je ne vais pas approfondir le sujet, mais simplement vous énumérer les trois grandes étapes de ce travail :
- La traduction du texte de scène, c’est-à-dire les répliques des acteurs
- Le découpage : véritable travail d’orfèvre, cette étape oblige le traducteur à reprendre son texte pour faire en sorte qu’il respecte les limites de caractère des surtitres, que les unités de sens ne soient pas séparées et que sa traduction ne trahisse pas la suite des événements de la pièce. Par exemple, si l’acteur doit prononcer une réplique humoristique, le traducteur doit veiller à ce que la chute de la blague n’apparaisse pas sur l’écran avant que l’acteur ne la prononce, au risque de faire rire le public avant que l’acteur ait terminé sa phrase.
- Le « topage » : durant cette dernière étape, le traducteur doit veiller à envoyer les surtitres en même temps que les acteurs prononcent leurs répliques. C’est donc un exercice demandant un incroyable niveau de concentration, le traducteur doit en effet être prêt à sauter plusieurs lignes si l’acteur oublie une partie de son texte ou même à revenir en arrière si l’acteur s’emmêle les pinceaux. Bref, vous n’avez pas intérêt à avoir un moment d’égarement !
Enfin, la dernière rencontre de la journée s’intitulait : « Europe et traduction littéraire : quels enjeux ? Quel avenir ? ». La grande invitée de cette rencontre était bien évidemment Françoise Wuilmart, fondatrice du Centre Européen de Traduction Littéraire, institut où j’ai étudié pendant 2 ans. Je n’ai pas appris grand-chose de cette rencontre vu qu’elle parlait du parcours du combattant qu’il faut réussir pour devenir traducteur littéraire (mais pas en vivre, entendons-nous bien) et que je le connais bien. Pour résumer, si vous voulez devenir traducteur littéraire, il faut avoir un diplôme, faire des études post-universitaires au CETL, passer votre mémoire devant un jury de professionnels de l’édition et espérer que l’un d’entre eux accepte de vous publier. Bref, il faut s’armer de patience et ne jamais oublier que c’est avant tout un métier de passion et non un gagne-pain.
Voilà pour les rencontres de cette première Journée de la traduction littéraire et de l’interprétation. J’ai bien évidemment terminé mon tour à la Foire du Livre par une visite au stand consacré à la traduction, où je me suis fait plaisir en achetant Partages, le livre d’André Markowicz que j’avais inscrit sur ma liste de livres à offrir à un traducteur, Honni soit qui mal y pense : l’incroyable histoire d’amour entre le français et l’anglais d’Henriette Walker et La Traductrice, un court récit d’Efim Etkind, traduit du russe par Sophie Benech. Et je suis également repartie avec Le Crime du comte Neville, dernier roman d’Amélie Nothomb. Ceci annonce donc de nouveaux billets Croque-livre !
En attendant, je vous donne rendez-vous la semaine prochaine pour un autre billet 🙂
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