Bonjour à tous ! Me voilà enfin de retour après de si longs mois (non, je n’étais pas en vadrouille, juste plus débordée que d’habitude et du coup plus vraiment le temps d’alimenter mon blog).
Comme chaque année, j’ai participé à la Foire du Livre de Bruxelles, et plus particulièrement à la dernière journée, où sont organisées plusieurs conférences autour de la traduction. L’occasion de m’informer davantage sur mon métier, mais aussi de revoir certaines camarades de classe du Centre Européen de Traduction Littéraire. Voici donc un « petit » compte-rendu de cette cuvée 2017 (vu la longueur de mon post, je comprendrais que vous sautiez plusieurs passages. Les traducteurs littéraires seront toutefois intéressés par le tout dernier point…)
Bruxelles et Montréal Babel : le traducteur comme passeur entre les communautés
La première conférence à laquelle j’ai pu assister était une rencontre entre Lori Saint-Marin, traductrice québécoise, et Danièle Losman, traductrice belge. Comme certains le savent, la Foire du Livre met chaque année un pays ou une région du monde à l’honneur et 2017 était consacrée à Montréal. Trait d’union entre les communautés anglophone et francophone, cette grande ville du Québec partage beaucoup de points communs avec Bruxelles. La conférence cherchait donc à savoir quel rôle joue la traduction dans ces deux métropoles.
Le public présent a ainsi appris que la traduction était presqu’un moyen de survie au Québec. En effet, les Québécois ont cette tendance à se sentir quelque peu menacés par la culture anglophone qui les entoure aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur même du Canada. La langue française et la traduction en français est donc un acte de rébellion face à « l’envahisseur » américain. Lori Saint-Marin a avoué qu’elle considérait la traduction comme une « friction enrichissante » entre deux cultures, point que Danièle Losman partage. La traductrice belge a en effet ajouté que la traduction était essentielle pour faire connaître les différentes cultures et montrer qu’elles sont toutes aussi valables les unes que les autres.
La suite de la conférence portait sur les études de traduction dans ces deux régions du monde. Il semblerait que la situation du Québec soit assez semblable à celle de la Belgique puisque les jeunes québécois se rendent compte de l’importance de la traduction dans le monde d’aujourd’hui. Beaucoup s’intéressent bien évidemment à la traduction technique et commerciale, mais aussi à la traduction littéraire, domaine qui permet bien plus de liberté mais qui est malheureusement rarement bien payé (même combat chez nous et en France soit dit en passant).
L’animatrice de la conférence s’est ensuite intéressée à l’avenir du partage de la littérature entre les communautés linguistiques de Belgique. Danièle Losman s’est montrée très positive en expliquant qu’il y avait actuellement un grand nombre d’initiatives culturelles et artistiques intéressantes entre néerlandophones et francophones afin de contrer l’atmosphère nationaliste. Pour elle, les traducteurs et les artistes sont la solution contre le repli identitaire et pour le partage des cultures.
La conférence s’est conclue sur la question : faut-il être humaniste pour être traducteur ? Lori Saint-Marin a répondu que la littérature elle-même était humaniste. Elle a ensuite pris l’exemple d’un auteur anglophone très polémique au Québec que les lecteurs francophones refusaient de lire à cause de ses prises de parole très controversées. Certains l’ont toutefois découvert grâce à la traduction et se sont rendu compte qu’il était un excellent écrivain. Les traducteurs peuvent ainsi aussi servir de réconciliateurs. En Belgique, la traduction française permet, quant à elle, aux lecteurs de découvrir la littérature flamande et de mieux comprendre, à travers les mots, cette culture si proche que nous nous complaisons souvent à rejeter pour des raisons purement politiques.
Le multilinguisme au sein des institutions européennes
Comme l’an dernier, Franz Lemaitre, le Chef d’unité d’interprétation de langue française de la Commission européenne, est venu lever le voile sur le service de traduction et d’interprétation des institutions européennes. Il était cette fois-ci accompagné d’Ian Andersen, Conseiller en leadership participatif à la Direction générale de l’Interprétation de la Commission européenne.
Franz Lemaitre tout d’abord expliqué les qualités qu’un interprète de conférence devait avoir pour exercer son métier. En cela, il a repris les propos qu’il avait tenus l’an dernier en disant qu’un interprète devait 1) être curieux de tout, 2) maîtriser sa langue maternelle sur le bout des doigts et 3) avoir une bonne connaissance des langues étrangères. Il a ajouté que, pour l’interprète, la langue n’est pas une fin en soi comme elle l’est pour le traducteur, mais qu’elle est plutôt un vecteur. Il a également répété plusieurs fois que l’interprète était loin d’être un génie des langues et qu’il fallait 95% de travail et 5% de talent pour pouvoir exceller dans cette profession. Comme il l’a si bien dit, « on ne devient pas interprète, on le devient, et on le devient jusqu’à la fin de sa carrière. » Comprenez que l’interprète devra toujours viser l’excellence sans jamais pouvoir l’atteindre et que ce métier passionnant permet d’en apprendre tous les jours.
Ian Andersen a, quant à lui, fait un petit historique du multilinguisme en Europe. Il a ainsi expliqué qu’il y avait eu 2 modèles depuis la création de la Commission européenne. Au départ, un ministre danois avait proposé que les réunions entre ministres se passent en deux langues et que chaque interlocuteur pratique la langue de l’autre. Ce modèle a bien évidemment été rapidement abandonné car l’on s’est vite rendu compte de l’importance de pouvoir parler de politique dans sa propre langue. Le deuxième modèle proposait, lors des grandes séances entre des ministres de plusieurs pays, d’utiliser toutes les langues des intervenants et de faire appel à des interprètes. S’il était plus facile pour chacun de s’exprimer dans sa propre langue, ce système s’est vite avéré onéreux et complexe vu le nombre d’interprètes qu’il fallait recruter. Il est en effet impossible d’organiser toutes les réunions en session complète car il n’y a pas assez d’interprètes (même en faisant appel aux interprètes indépendants). Il a donc fallu faire un choix et, aujourd’hui, on trouve donc différents types de réunions : celles où on utilise une seule langue et celles où on utilise quelques langues (les interlocuteurs de langues plus rares devant s’exprimer en anglais).
Ian Andersen s’est ensuite penché davantage sur l’exercice d’interprétation en lui-même en expliquant qu’un interprète ne devait pas seulement interpréter les mots prononcés par les ministres, mais aussi adapter le discours aux différentes cultures. Il a pris l’exemple des Scandinaves qui ont tendance à s’exprimer de manière très franche et directe, contrairement aux Italiens et aux Français qui tournent davantage autour du pot et enjolivent leurs phrases d’expressions à rallonge. Ainsi, les Danois s’étaient étonné que certaines parties des discours de leurs représentants n’étaient pas reprises en totalité dans les comptes-rendus de réunion. Pourquoi ? Tout simplement parce que lorsque le président de la réunion demandait par exemple aux Danois s’ils étaient d’accord avec telle ou telle mesure, ceux-ci répondaient simplement « Oui » ou « Non », alors que leurs homologues français et italiens ne donnaient leur réponse qu’au bout de « Monsieur le Président, nous tenons à vous faire part de notre avis concernant la question… ». Le micro des ministres ne s’allumait en fait qu’après que les Danois aient donné leur réponse. Résultat, on pouvait croire qu’ils n’avaient pas répondu. L’interprète doit donc s’habituer à adapter en français le discours court et direct des Danois.
Franz Lemaitre a conclu la conférence en répétant, comme l’année dernière, que les interprètes et traducteurs ne devaient pas craindre l’avènement des machines car, même si les technologies progressent, aucun ordinateur n’est encore capable de comprendre tous les sous-entendus, métaphores et dimensions ironiques du discours humain. Cela fait des dizaines d’années qu’on en parle et, malgré les progrès, on est encore loin d’avoir un robot traducteur. Voilà de quoi rassurer les plus anxieux !
Le chat qui voulait être roi, Le Roi Babel
Cette conférence présentait l’application Le Roi Babel, sorte de livre interactif pour enfants existant en plusieurs langues (FR-NL-EN-ES). Je ne vais pas m’étendre sur l’histoire qu’il raconte, mais plutôt sur ce qui nous intéresse ici : le processus de traduction.
Outre Karim Maaloul, le créateur de l’application, il y avait Cristina Lopez Devaux, qui a traduit l’application en espagnol, et Bart Vonck, qui s’est chargé de la traduction en néerlandais.
Cristina Lopes Devaux a expliqué qu’elle avait abordé cette traduction de manière très différente car, en plus de l’histoire en elle-même, il a fallu adapter en espagnol toute l’interface, ainsi que les textes promotionnels, etc. C’était donc un travail assez varié et surprenant vu la quantité de fichiers. Pour l’histoire, elle a avoué qu’elle s’était inspirée de sa propre jeunesse. En tant qu’Espagnole, elle a en effet grandi avec les histoires de Gloria Fuertes, grande poétesse pour enfants. Elle a donc voulu garder son influence, en utilisant un langage poétique sans être trop niais, en jonglant avec les niveaux de langue et en donnant une musique à un texte qui doit être lu. Pour elle, il était essentiel de relire sa traduction à voix haute pour respecter le rythme de l’histoire. Cristina Lopes Devaux a également ajouté qu’il fallait donner un caractère ludique au texte car l’image était très présente. Il fallait donc que le récit parvienne à attirer autant l’attention de l’enfant que les activités s’affichant à l’écran.
Traducteur de poésie, Bart Vonck a eu une approche quelque peu différente. Il explique que la poésie est en effet un domaine très dense et beaucoup plus dure que tous les autres domaines de traduction. La traduction d’un livre pour enfants était donc pour lui une parenthèse agréable et reposante. Il s’est principalement concentré sur le style et le registre, tout en faisant attention à adapter son texte à un public plus jeune. Il fallait donc éviter les mots abstraits, faire souvent appel à l’image, produire un texte très vif et poétique, mais de manière beaucoup plus légère que ce qu’il a l’habitude de faire. Habitué des traductions de théâtre, il a aussi eu l’automatisme de relire son texte à voix haute.
Le reste de la conférence s’intéressait à la manière dont Karim Maaloul a réussi à trouver des traducteurs pour chaque langue. Il faut dire qu’en tant qu’auto-éditeur, il a eu beaucoup de mal à savoir vers qui se tourner. On lui avait recommandé quelqu’un pour la traduction en anglais mais le travail était absolument catastrophique donc il a fait appel à des amis anglophones. Quant à Cristina et Bart, il les a rencontrés lors de la Foire du Livre. C’est dire l’intérêt qu’ont ces foires autant pour les auteurs que pour les traducteurs.
Bruxelles-Babel : capitale du sous-titrage, du doublage et du voice over
C’est la rencontre qui m’a intéressée le plus puisqu’elle parlait d’un domaine de la traduction que je ne connais pas très bien et qui m’attire. Elle mettait en lumière plusieurs disciplines de ce type de travail grâce à des spécialistes.
Tout d’abord, une petite définition s’impose. Le sous-titrage est bien évidemment une traduction écrite de ce qui est dit à l’écran, le doublage est la traduction orale des dialogues d’un document audiovisuel et le voice over est le texte dit en narration voix off dans les documentaires télévisés, les reportages… ainsi que le texte qui est lu par-dessus les voix originales, comme par exemple pour les interviews dans un journal télévisé. Il y a en effet une tendance à ne plus sous-titrer ces reportages, mais à les traduire en voice over.
Ensuite, quelques petites explications sur les contraintes de ces techniques. Pour le sous-titrage, la contrainte principale est la limite du temps de lecture. Il faut que le spectateur puisse lire facilement ce qui est dit sans que cela l’empêche de regarder les images. Aujourd’hui, les spectateurs comprennent de plus en plus souvent la langue originale, comme c’est souvent le cas pour les séries, donc il faut reprendre absolument les références culturelles. Ainsi, si une scène se déroule à Londres et qu’on parle de taxis, on ne peut pas parler de « taxis jaunes » mais bien de « taxis noirs ». Certaines références culturelles sont toutefois moins faciles à rendre. Par exemple, si dans une série belge, les personnages disent « Rendez-vous au Quick » sans que l’on voit l’image du restaurant, le spectateur japonais n’aura aucune idée du genre de lieu de rendez-vous. Ici, il est impossible d’ajouter une note de traducteur, il faut parvenir à faire passer le message sans ouvrir de parenthèses. Le sous-titreur doit donc absolument regarder l’image pour s’accrocher à quelque chose. On peut donc dire que ces traducteurs sont surtout des adaptateurs.
Le doublage et le voice over sont des textes écrits destinés à être lus oralement. Il y a donc un certain aspect ludique. Le premier travail du voice over consiste à vérifier les informations véhiculées dans les documentaires, les interviews, etc. Il faut également respecter les consignes données par les chaînes de télévision : alléger les infos, changer le ton de la vidéo (si par exemple le ton employé par une personne interviewée est très familier, il est demandé au traducteur d’adopter un ton plus sérieux). Le ton est aussi important pour les sous-titreurs. Si vous traduisez par exemple une série historique, vous devez faire des recherches pour utiliser un langage adapté à l’époque.
La deuxième partie de la rencontre s’intéressait aux différents logiciels qui pouvaient aider le traducteur à faire son travail. Pour le doublage, le seul programme utilisé est celui destiné aux comédiens qui lisent le texte. Celui-ci est projeté en studio et les comédiens doivent le lire, ou plutôt le jouer, en suivant la bande de rythme. Pour le sous-titrage, il existe plusieurs logiciels gratuits qui permettent de synchroniser le texte avec les images mais qui ne permettent pas de voir le résultat final (malheureusement les différentes traductrices spécialisées dans le sous-titrage n’ont pas donné de nom de programme, mais sachez toutefois qu’il en existe en ligne totalement gratuits pour vous exercer).
La dernière partie de la rencontre s’est enfin penchée sur les différentes formations accessibles en Belgique. Si le sous-titrage est enseigné dans les écoles de traduction depuis plusieurs décennies, ce n’est pas du tout le cas pour le doublage. Pour l’instant, on ne trouve que deux universités en France, à Lille et à Nice. Toutefois, l’UCL a annoncé qu’elle ajouterait le doublage à son cursus de traduction dès 2017. À bon entendeur…
Bruxelles Babel : traduire aussi les langues dites « mineures »
La dernière rencontre intéressante à laquelle j’ai assisté se consacrait aux langues mineures. Elle regroupait Nicolas Auzanneau, traducteur du letton, Chloé Billon, traductrice du croate, Seán Hade, chef d’unité au Conseil de l’UE et traducteur irlandais, Rachel Zammit McKeon, traductrice du maltais au Conseil de l’UE et, enfin, une perle rare, Munkhzul Renchil, traductrice du mongol.
La modératrice a commencé par demander à chacun d’où leur est venue l’envie d’apprendre et de traduire une langue rare. L’histoire de Nicolas Auzanneau, traducteur du letton, était assez intéressante. Il avait terminé ses études juste après la chute du bloc de l’Est et avait envie de partir à la découverte de cette région du monde encore totalement méconnue à l’époque. Il a donc voulu apprendre et traduire le letton pour transmettre ses découvertes aux autres. Munkhzul Renchil, traductrice du mongol, a eu l’approche inverse. Étant elle-même mongole, fille d’une traductrice du russe au mongol et ayant fait des études de littérature à Paris, elle s’est rendu compte que son pays était totalement inconnu des Occidentaux. Elle a donc voulu faire connaître sa culture à travers la littérature.
Chacun des traducteurs a ensuite parlé de la situation des études de ces langues « mineures » à travers l’Europe et leur rapport avec le monde de l’édition :
- Le letton n’étant enseigné que de manière peu approfondie à l’Inalco (Institut National des Langues et Civilisations Orientales) à Paris, le mieux à faire pour l’apprendre est d’aller sur place. La littérature lettone est de plus en plus traduite en français, qu’il s’agisse des grands classiques, de poésie, des œuvres contemporaines, ainsi qu’un grand stock de témoignages lettons sur la révolution bolchevique. La littérature jeunesse est, quant à elle, en grande expansion et est même promue par le gouvernement letton.
- Le croate est beaucoup plus traduit en allemand qu’en français. La littérature de ce petit pays méditerranéen est très peu connue. Chloé Billon doit donc faire elle-même les démarches auprès des éditeurs pour proposer des projets de traduction.
- Selon Seán Hade, l’irlandais a toujours été traduit, que ce soit en latin et en français, mais jamais de manière professionnelle. L’irlandais n’a d’ailleurs pas eu le statut de langue officielle avant 2010. C’est seulement à partir de cette année-là que les choses ont changé. Aujourd’hui, l’irlandais est enseigné obligatoirement à l’école au même titre que l’anglais. La condition des traducteurs de l’irlandais a donc elle aussi évolué.
- Pour le maltais, la formation de traducteur est assez récente (2003-2004). Il y a plusieurs éditeurs à Malte qui publient des traductions vers le maltais mais beaucoup moins dans l’autre sens. On constate toutefois un intérêt pour la littérature jeunesse maltaise.
- Le mongol, enfin, est une langue qu’il est possible d’apprendre également à l’Inalco. Cela reste toutefois un langage et une culture encore bien trop énigmatique pour les francophones.
La rencontre s’est conclue par une belle intervention d’une traductrice du letton présente dans le public, qui a repris une citation de la poétesse et dramaturge Māra Zālīte : « Là où il y a une grande littérature, il n’y a pas de petite langue. »
Le prix de littérature de l’Union européenne
J’ai terminé mon marathon de rencontres sur la traduction par cette conférence sur le prix de littérature de l’Union européenne. Je ne vais pas vraiment m’attarder sur le débat qu’il y a eu concernant l’existence d’un fonds pour la traduction, l’importance bien trop négligée des traducteurs, etc. mais je voulais néanmoins en toucher un mot car Françoise Wuilmart, directrice du Centre Européen de Traduction Littéraire, a parlé du site PETRA-E, où vous pouvez trouver un cadre de référence pour l’enseignement de la traduction littéraire. Vous y avez accès à un tableau qui reprend les compétences nécessaires pour devenir un bon traducteur littéraire. Cela peut ainsi permettre d’estimer votre niveau. Vous le trouverez ici.
J’ai bien évidemment conclu ma journée à la foire par un tour des libraires et j’en suis ressortie avec quelques livres sur la traduction et plusieurs romans et recueils de nouvelles pour le plaisir. Je parlerai de mes coups de cœur dans de prochains billets Croque-livre. À bientôt (je l’espère, du moins) !
Pingback: Non, on ne devient pas traducteur sous-titreur en quelques clics | Translovart