Bonjour à tous ! J’avais très envie de vous parler de ce livre dévoré il y a déjà plusieurs mois. Parlant de traduction, d’écriture, de langue et de voyage, je ne pouvais qu’apprécier le sujet. Voici donc le premier billet Croque-livre de 2018.

Journal d’une traduction, Marie-Hélène Dumas
Journal d’une traduction, comme son titre l’indique, est un journal tenu par la romancière et traductrice française Marie-Hélène Dumas durant les mois où elle s’est attelée à la traduction de The Republic of Imagination d’Azar Nafisi. En travaillant sur ce roman parlant d’exil, Marie-Hélène Dumas replonge dans son passé de fille d’immigrés russes. Les passages parlant de ses souvenirs d’enfance, d’adolescence et de début de vie adulte s’entrecoupent d’interrogations quant à son choix de langue (elle a préféré l’anglais au russe, langue de sa mère) et surtout de réflexions sur son métier de traductrice. Si cela peut sembler inintéressant pour les non-initiés, j’ai vite été emportée par son écriture. Je me suis ainsi retrouvée dans sa façon d’aborder la traduction, mais aussi dans son amour du voyage. Marie-Hélène Dumas a en effet pas mal vadrouillé au cours de sa jeunesse et raconte plusieurs de ses aventures dans cet ouvrage. Elle dit d’ailleurs à un moment avoir « le sentiment d’être à ma place entre deux endroits différents, quand les paysages défil[ai]ent derrière la fenêtre du car, de la voiture ou du train. » Sentiment qui trouve un certain écho chez moi…
Ce qui m’a particulièrement plu dans ce journal de Marie-Hélène Dumas est bien évidemment son ressenti quant à la traduction. Le style d’écriture qu’elle adopte quand elle parle de son métier fait d’ailleurs penser à l’esprit d’un traducteur lorsqu’il attaque son premier jet. Les mots se jettent alors sur le papier, créant parfois des phrases sans virgule décrivant des suites d’action. J’ai plusieurs fois souri en remarquant que j’avais les mêmes problèmes ou manies. Elle avoue, par exemple, n’atteindre son pic d’activité qu’en pleine après-midi et avoir besoin de marcher ou de parler à haute voix pour débloquer les passages difficiles.
« On croit, traductrice, que je ne travaille que du ciboulot, c’est faux, […], je me lève et marche pour débloquer ce qui bloque, et quand de mon ciboulot à mes deux mains ça ne passe plus du tout, même après être allée me faire chauffer un café, je travaille avec ma voix. Mains, jambes, voix, corps, souffle. »
Elle aborde également la relation ambiguë des traducteurs avec les réviseurs (sujet que j’avais exposé ici) et explique sa vision sur le fameux concept Traduttore, traditore (Traduire, c’est trahir). D’après elle, l’expression remonterait à l’empire ottoman où les drogmans (comprenez interprètes) devaient adapter leur travail à leur auditoire et prouver avant tout leur fidélité à leur employeur. Le risque de trahison n’était donc pas envers le sens du texte, mais envers cet employeur. D’ailleurs, comme elle le dit si bien, : « […] pour qu’il y ait trahison de ce qu’il est écrit, il faudrait que ce qui est écrit n’ait qu’un seul sens, un seul, et ce n’est pas toujours le cas. »
Élevée par une Russe, Marie-Hélène Dumas s’exprime également à plusieurs reprises sur sa relation par rapport à la langue de Pouchkine. J’ai d’ailleurs particulièrement aimé sa manière de décrire ce langage mystérieux que j’ai étudié durant 5 ans :
« Avoir le russe dans la bouche, c’est en avoir plein les papilles, c’est comme […] manger un loukoum avec des morceaux de pistache dedans. Du mou, du dur, du doux, avec des chuintantes qui envoient de l’air partout, qui caressent les dents, des l mouillés qui poussent la langue contre le palais. »
Ce livre cite enfin de nombreux autres ouvrages dédiés à la traduction, comme Dire presque la même chose d’Umberto Eco, La Traductrice d’Efim Etkind, Misère et splendeur de la traduction de José Ortega y Gasset ou encore Le poisson et le bananier de David Bellos.
J’aimerais conclure ce billet par deux passages qui m’ont particulièrement marquée et qui vous donneront peut-être l’envie de lire à votre tour ce Journal d’une traduction.
« […] traduire permet de ressentir la difficulté qu’on a à s’exprimer dans sa propre langue, celle dans laquelle on est censé s’exprimer le plus facilement, donc la difficulté à s’exprimer tout court. (Du coup, écrire donne l’impression de se traduire soi-même. C’est comme si la première façon d’exprimer ce qu’on cherche à exprimer nous venait dans une langue qui ne serait pas la nôtre.) Difficulté qu’on ressent de façon dingue quand une phrase écrite dans une autre langue nous est limpide, qu’on la comprend sans mal, mais qu’on n’arrive pas à l’exprimer, c’est à dire quand il nous faut « penser entre les langues ». »
Et ma citation coup de cœur :
« Je crois à la traduction parce que je crois plus à ce qu’on a en commun qu’à ce qu’on a de différent. »
À bientôt !
Coucou Elise. Je suis bien loin de la passion de la traduction, quoique dans une vie antérieure j’ai souvent été mis à contribution en ce qui concerne la langue de Vonde, ce qui rejoignait mon penchant naturel pour l’écriture, de toute façon. Transmettre la réalité d’une passion fait souvent mouche, car le ressenti d’une passion est, à mon sens, assez commun. De plus, tu t’exprimes tellement bien. Gros bisous !
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Merci parrain ! Être née dans une famille de passionnés y est certainement pour quelque chose 🙂 Gros bisous
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