Si vous n’aviez pas remarqué les cœurs qui ont envahi les magasins, c’est que vous avez dû zapper la Saint-Valentin. Alors, certains vont dire que c’est une fête commerciale, mais pour moi cela reste une célébration de l’amour au sens général (et l'anniversaire de ma grand-mère soit dit en passant 🤗). L’année dernière, j’avais écrit un billet sur l’amour entre traducteurs (ici), mais cette fois-ci, j’avais envie de vous parler d’une œuvre d’art qui parle d’amour.

L’amour est le sujet d’une multitude d’œuvres, mais celle qui le représente le plus parfaitement à mes yeux est le ballet Roméo et Juliette, chorégraphié par Kenneth MacMillan sur la musique de Sergueï Prokofiev et inspiré de la pièce écrite par William Shakespeare. Je sais, ce billet est un peu hors sujet comme il ne parle ni de rédaction, ni de traduction, encore que… Prokofiev est parvenu à traduire en musique la beauté des vers de Shakespeare et MacMillan a interprété par des gestes les phrases musicales du compositeur russe.
C’est à travers la musique de Prokofiev que j’ai découvert l’histoire des deux amants maudits, sans en avoir vraiment conscience puisque j’étais encore enfant. Mon père, musicien, mettait parfois à plein volume le double album de Roméo et Juliette interprété par l’orchestre symphonique de Boston sous la direction de Seiji Ozawa (que vous pouvez écouter ici). Comme il est sorti un an avant ma naissance, il est même possible que je l’aie écouté en étant bien au chaud dans le ventre de ma mère… Chaque fois que mon père le faisait résonner dans les baffles du salon, j’étais envahie de grandes émotions. C’est d’ailleurs à force d’entendre le passage plus doux de la Danse des chevaliers que j’ai eu envie de faire de la flûte traversière. Juste pour vous donner quelques informations sur cet opus : Sergueï Prokofiev a composé ce chef-d’œuvre en 1935. La partition a été retravaillée plusieurs fois en raison des refus du Kirov puis du Bolchoï. Le ballet a été créé en Tchécoslovaquie en 1938, mais il a fallu attendre 1946 pour que la version définitive soit interprétée pour la première fois au Bolchoï.
Quant à moi, j’ai dû attendre l’adolescence pour lire la pièce de Shakespeare lors d’un cours de… français. J’avais d’ailleurs choisi de rejouer une scène entre Juliette et sa nourrice avec ma meilleure amie de l’époque pour un travail noté. Ayant toujours été fleur bleue, je ne suis pas restée insensible aux vers du Barde ou plutôt à ceux de son traducteur. Je ne suis pas en mesure de vous dire qui était l’auteur de la version française que j’ai lue, mais parlons justement un peu des traducteurs de Romeo and Juliet. Sa toute première traduction en français aurait été publiée en 1778 et réalisée par Pierre Le Tourneur et le comte de Catuélan. Elle a été modifiée plusieurs fois au cours des décennies suivantes jusqu’à faire l’objet d’une toute nouvelle traduction en 1859, réalisée par François-Victor Hugo, l’un des cinq enfants du grand écrivain français (pour en savoir plus sur les traductions françaises et allemandes du texte, je vous invite à consulter ce lien). Si c’est par la pièce de Shakespeare que l’histoire de l’amour interdit entre un Montaigu et une Capulet s’est fait connaître dans le monde entier, elle n’a pas été inventée de toutes pièces par le dramaturge anglais. Elle aurait été inspirée du conte italien Historia novellamente ritrovata di due nobili amanti publié au XVIe siècle par l’écrivain Luigi da Porto. Ce conte a ensuite été composé en vers anglais par le poète Arthur Brooke, sous le titre The Tragical History of Romeus and Juliet en 1536. Shakespeare va également se baser sur la version en prose écrite en 1582 par l’auteur et traducteur anglais William Painter. Le Barde a cependant eu la bonne idée d’ajouter des personnages secondaires, dont l’indispensable Mercutio et surtout Pâris, qui apporte un côté encore plus dramatique au récit. Je ne vais toutefois pas vous réécrire toute l’histoire de cette pièce, car je ne suis pas une experte du sujet et j’ai davantage envie de vous parler du ballet.
C’est aussi à l’adolescence que j’ai pu regarder pour la première fois une version complète du ballet Roméo et Juliette. Mon père avait enregistré une diffusion du ballet dansé par l’Opéra de Paris dans une chorégraphie de Rudolf Noureev. Les personnages de Juliette et de Roméo étaient interprétés par Monique Loudières et Manuel Legris. Je n’ai pas décroché mes yeux une seule fois de l’écran tellement j’étais subjuguée par la beauté et l’intensité de ce ballet. Si j’aime beaucoup la version de Noureev pour son côté théâtral, le caractère plus marqué de Juliette, la mise en valeur du personnage de Mercutio et le plus grand rôle accordé à la nourrice, je dois dire que je préfère la chorégraphie de Kenneth MacMillan. Elle a été créée en 1965 sur la scène du Royal Opera House à Covent Garden avec Margot Fonteyn et Rudolf Noureev dans les rôles titres. Elle est loin d’être la première version du ballet Roméo et Juliette, la première ayant été chorégraphiée par Leonid Lavrovsky aux côtés de Prokofiev en 1940. Le chorégraphe américain John Cranko en a imaginé une autre en 1962 et ce n’est que 3 ans plus tard que le danseur et chorégraphe britannique Kenneth MacMillan a créé la sienne. Il a souhaité mettre l’accent sur le personnage de Juliette ainsi que sur l’amitié entre Roméo, Mercutio et Benvolio. Son ballet semble beaucoup plus réaliste et se regarde comme un film, ses pas de deux interprétant à la perfection les émotions des personnages. La scène du balcon avec son porté dans lequel Roméo, à genoux, élève Juliette vers le ciel est tout simplement sublime et me met à chaque fois la larme à l’œil.
Mon passage préféré du ballet reste toutefois l’incontournable Danse des chevaliers lors du bal. Je le reconnais dès la première note et ai directement une réaction épidermique impossible à décrire. La première fois que j’ai eu la chance de l’entendre interpréter par un orchestre en direct au Royal Opera House de Londres, je n’ai à nouveau pas pu retenir mes larmes. Certes, ce n’est pas le passage le plus triste du ballet, mais l’ambiance dramatique que créent les cuivres annonce la fin tragique de l’histoire. Là encore, MacMillan fait mouche avec ce corps de ballet marchant au pas sur le rythme métronomique du morceau. Comme une image vaut mille mots, je vous laisse en apprécier un extrait.
Bref, je n’attends qu’une seule chose : que Roméo et Juliette soit à nouveau au programme du Royal Opera House pour que je puisse encore une fois vivre plus de 2 heures d’émotions intenses et de beauté à l’état pur… Et vous, quelle est l’œuvre qui vous fait chavirer le cœur ?